La troisième conférence-débat organisée par l’UNSA Fonction publique le 20 mai 2025 était dédiée à la maîtrise de l’intégration de l’intelligence artificielle dans la fonction publique en préservant les droits des agents et la qualité du service public aux usagers.
L’enquête qui l’a précédée reflète les espoirs, les inquiétudes, les attentes et les préoccupations des agents publics face à l’IA. La conférence-débat a réuni des experts du numérique, du dialogue social et de la qualité de vie au travail pour analyser l’impact de l’IA dans l’administration et dresser un panorama des solutions pour apporter des garanties aux agents.
Une enquête pour comprendre l’impact de l’IA sur le travail des agents
Plus de 1000 personnes ont répondu à l’enquête en ligne lancée par l’UNSA Fonction Publique du 11 février au 9 avril 2025. Les résultats révèlent une connaissance encore limitée des initiatives liées à l’IA dans la fonction publique, avec 65% des répondants déclarant ne pas être informés sur ce sujet. Si l’usage personnel des IA « grand public » est relativement répandu (40%), seulement 15% des agents les utilisent dans leur cadre professionnel. Quant à l’impact attendu sur le service public, les avis sont partagés, les bénéfices réels de l’IA ne semblent pas encore au rendez-vous alors que déjà des suppressions d’emplois se profilent.
Les avantages potentiels de l’IA sont principalement perçus en termes de gain de temps (80%) et de réduction des erreurs humaines (60%). La moitié des répondants pensent également que l’IA pourrait améliorer la prise de décision grâce à l’analyse des données. Ces bénéfices s’accompagnent d’inquiétudes majeures, notamment la réduction des effectifs (70%) et de perte d’autonomie (65%). Le risque de biais et de discriminations est également souligné par 55% des répondants.
L’automatisation des tâches est perçue comme possible par 60% des sondés, mais l’absence de consultation préalable par l’administration est largement dénoncée (85%). En réponse, le dialogue social est plébiscité comme un levier essentiel pour accompagner l’intégration de l’IA : 90% des agents estiment qu’il pourrait faciliter cette transition. Les besoins en formation sont particulièrement mis en avant, ainsi que la nécessité de négocier des accords encadrant ces bouleversements.
La crainte de déshumanisation des métiers et du service public est importante. L’IA est perçue comme incapable de remplacer le jugement humain et l’empathie, avec le risque d’ajouter une complexité administrative et une charge de travail supplémentaire aux agents. Ces inquiétudes traduisent la nécessité et l’urgence d’une approche concertée pour anticiper et prévenir les impacts sociaux et organisationnels.
Enfin, les répondants mettent en lumière des recommandations essentielles prioritaires : renforcer la communication, organiser des consultations, offrir des formations et négocier des accords.
Une conférence-débat pour éclairer les enjeux
Animée par Julie Gacon, journaliste et productrice de Cultures Mondes sur France Culture, la conférence-débat du 20 mai 2025 s’est tenue au siège du groupe INTERIALE à Paris. Les constats, analyses, expériences et témoignages d’Odile Chagny, chercheuse à l'IRES, économiste, animatrice du réseau Sharers & Workers, de Laure Lucchesi, enseignante à l’INSP, Science Po et Télécom Paris, ex-directrice d’Etalab, cofondatrice de Give & Tech et Catalyst.ai Academy, de Vincent Mandinaud, chef de projet "Transition numérique et conditions de travail" à l’ANACT, de Félix Tréguer, chercheur associé au CNRS et membre de La Quadrature du Net, et de Christophe Teissier, chef de projet à Ultralaborans ont dressé le panorama des enjeux et des défis à relever dans le cadre du dialogue social.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans la Fonction publique répond à des objectifs affichés précis : optimisation des ressources, gain de temps pour les agents et amélioration du service rendu aux usagers. Mais la mise en œuvre de ces technologies révèle une série de défis qui interrogent leur pertinence et leur impact réel sur le travail des agents publics.
Si le numérique peut offrir des opportunités pour améliorer la qualité de service, certains projets en montrent aussi les limites. Les agents expriment des inquiétudes sur la fiabilité des outils d’IA, parfois générateurs de réponses biaisées -voire discriminantes- ou erronées. C’est le cas de l’outil national « Albert » utilisés dans le réseau « France Services » qui a montré ses défaillances en produisant des réponses incomplètes ou fausses (cet outil n’aurait une efficacité que de 10 % de réponses exactes).
Mais l’intelligence artificielle ne se contente pas d’automatiser des tâches, elle transforme en profondeur la manière dont les administrations interagissent avec les citoyens et les conditions de travail des agents. La déshumanisation des services publics, avec la diminution des interactions humaines, l’éviction des tâches les plus simples directement gratifiantes, l’intensification du travail, questionne le sens même du travail et expose davantage d’agents à des risques psychosociaux.
L’IA s’impose aujourd’hui comme un processus exclusivement vertical subi par les agents. Utilisateurs de première ligne, experts de leur travail, les agents doivent être associés ainsi que leurs représentants pour s’assurer des sous-jacents de la conception et de la mise en œuvre.
Or, dans la Fonction publique, le dialogue social n’est pas encore ouvert sur ce sujet. Aucune formation spécifique n’est proposée ni aux agents ni à leurs représentants pour s’approprier l’ensemble des dimensions des outils disséminés dans les services. Pour l’UNSA Fonction Publique, cette situation ne peut perdurer, cette transformation majeure doit passer par une négociation pour donner un cadre. Elle devra notamment s’appuyer sur l’Accord sur la numérisation conclu dans le cadre du dialogue social européen pour déterminer des droits à l’information, à la formation, à la protection des personnes et des données et exclure toute dérégulation cachée par l’innovation.
Pour Luc Farré, Secrétaire Général de l'UNSA Fonction Publique, « Ce combat syndical est vital : faire respecter la transparence, la responsabilité, et la démocratie dans la transformation numérique de nos services. L’IA n’est pas une fatalité, mais un enjeu politique et collectif. À nous d’en faire un levier au service des agents et de la qualité du service public ».
Auteures :
Annick Fayard, Secrétaire Nationale UNSA Fonction Publique
Sophie Huneau, Conseillère Nationale UNSA Fonction Publique